L'avenir des groupes linguistiques de la Guinée : Soutien à l’imam Ismael Nanfo Diaby de Kankan !

Opinions

« Au lieu de jeter la pierre à l’imam de Kankan, le foutre en prison et détruire sa Mosquée, nos dirigeants, imams, linguistes, ethnologues, sociologues et érudits de village devraient plutôt s’assurer que sa traduction du Saint Coran en n’ko répond et reste fidèle aux normes des règles d’usage de la langue arabe et du n’ko.  Perfectionner l’usage de nos langues nationales dans la religion, l’éducation et la science »



Du fait de l’esclavagisme, de la colonisation et du néocolonialisme, les langues autochtones en Afrique sont sérieusement menacées d’extinction et une action urgente est nécessaire pour qu’il ne soit pas trop tard. Qu’on le veuille ou pas, l’anglais, le français tout comme l’arabe sont des langues de Colons. Leur but après tout, c’est l’assimilation par la culture, la religion et le déni de l’identité culturelle des colonisés. Des centaines de millions de dollars sont investis chaque année dans des organisations comme le Commonwealth, la Francophonie, la coopération islamique pour perpétuer le système néocolonial et « maintenir le statu quo ».

Le premier à nous dire que notre langue nationale est le français nous a menti. Ce mensonge répété dix mille fois dans des livres et à travers nos us et coutumes, fait croire à certains que leurs ancêtres sont des gaulois. Idem pour la religion. Même si l’Islam ne s’est réellement implanté en Afrique de l’Ouest qu’au XVIIIe siècle, certains pensent qu’ils sont des cousins d’Ali* et de Abu Bakr**.

Le colon joue sur le concept du temps. Il sait qu’avec le temps, il peut domestiquer tout le monde. Par exemple, les grand pays anglophones ou francophones ne sont pas l’Angleterre ou la France, mais l’Inde et le Congo. Comment sommes-nous arrivés là, si ce n’est par l’assimilation culturelle, la domestication, la colonisation et la notion du temps. Car, l’assimilation n’est possible que dans la durée… La force seule ne suffit pas.

Faute de statistiques valides on ne peut réellement estimer le nombre de langues disparues en Afrique depuis l’arrivée des Européens, mais dans une étude récente menée au Canada sur les langues autochtones de ce pays, “on estime qu’avant le contact avec les Européens, il y avait environ 450 langues et dialectes parlés par les peuples autochtones partout sur le territoire que comprend aujourd’hui le Canada. En 2016, des données de Statistique Canada suggèrent qu’il en reste maintenant environ 70.”p4

L’étude va plus loin en soutenant que “Ces langues comprennent les cultures, les manières d’être et la vision du monde des peuples autochtones. La vaste majorité des langues autochtones sont sur le point de disparaître et cette perte est vivement ressentie chez les peuples autochtones partout au pays puisque la perte d’une langue quivaut à la perte d’un peuple distinct” p4. Le constat est alarmant. A cause de la ressemblance de leur passé colonial, ce qui est valide pour le Canada, l’est aussi pour l’Afrique.

 Quels sont les efforts fournis en Afrique pour protéger, préserver, revitaliser et remémorer les langues nationales après tant d’années d’arabisation et de francisation des pays africains. Malgré les prédictions sombres, il est intéressant de constater que les langues mandingues, pular, amharique, les langues swahilies et wolof sont de plus en plus apprises à l’école et dans des foyers informels. Malheureusement, on ne peut tirer la même conclusion concernant le bassari, le Bagakhoui et autres langues nationales.

Dans une vidéo publicitaire de l’université Kofi Annan de Conakry, j’étais ravi de constater que le n'ko figure au même pied d’égalité que l’allemand, l’espagnol et le français dans la Faculté des Langues. J’espère qu’on aura bientôt le sossokhoui et le pular dans la même faculté. (J’en doute fort voyant l’esprit ethnocentriste du fondateur de cet établissement). Même s'il faut considérer ces publicités avec toutes les précautions d'usage, elles donnent néanmoins à penser que nos langues nationales seront préservées, revitaliser.

Quelle ne fût pas ma joie lorsque j'ai découvert comme la plupart de mes compatriotes un Imam dirigeant une prière dans une langue autochtone africaine autre que l’arabe.  Car, des évènements historiques et actuels, tel le colonialisme, l’implantation de l’Islam, l’imposition de l'éducation européenne , l’esclavagisme et l’invasion des Almoravides ont créé chez les autochtones africains un sentiment d’infériorité qui leur poussent encore de nos jours à croire que seuls ce qui vient de l’Occident ou de l’Orient est digne de foi, créant par le fait même une rupture avec leur capacité de transmettre des connaissances culturelles ancestrales et des visions du monde ancrées dans les langues nationales.

Quelle ne fût pas ma désagréable surprise de voir des sanctions et autres menaces proférées par les chefs religieux de Kankan et de toute la république de Guinée à l’endroit de l’Iman Nanfo Ismaila Diaby pour avoir dirigé la prière en n’ko dans la nuit de Laylat al-Qadr. Et pourtant la préservation des langues autochtones commence par la religion, l’éducation et les sciences.

Le noir africain est confus parce qu’il lit le français le matin, l’anglais le soir, l’arabe la nuit et parle deux ou trois langues nationales non écrites à la maison selon l’origine de la famille. Tout cela, dans une punition et une torture datant du moyen âge. Je me souviens qu’à l’école primaire, un surveillant était chargé de mettre une puante corne de bœuf   autour du cou des élevés qui se hasardaient à parler leurs langues nationales en classe et pendant la récréation. Sans parler des coups de fouet ! C’etait l’époque des brimades et humiliations quotidiennes. Ces pratiques inacceptables existent encore de nos jours.  Aucun peuple ne nous ressemble. Nous sommes des colonisés. On travaille dans la langue des uns ; prie dans la langue des autres. En Europe, des petits pays comme le Luxembourg, la Bulgarie et le Pays-Bas ont leurs propres langues nationales écrites.

C’est vrai, Il est absolument nécessaire d’apprendre le français, l’arabe, l’anglais, voir même le mandarin et le japonais ; mais comme une seconde langue et non comme des langues nationales. Avec le temps, on pourra se passer des langues européennes et arabes ? Pour cela, il faut avant tout ‘’Décoloniser l’esprit ‘’ (Ngugiwa Thiong’o).

Il faut rappeler qu’a l’origine, la Bible n’était disponible qu’en hébreux et en grec. Il a fallu Constantin Ier pour que les romains l’adoptent et King James pour que les anglais se baptisent en grande masse parce qu’ils pouvaient, en fin, lire la Bible dans leur propre langue. La bible de King James « publiée pour la première fois en 1611, est une traduction anglaise de la Bible effectuée sous le règne et à la demande du roi James 1er, » qui avait susciter un tollé chez les Puritains

80 percent de guinéens sont musulmans. Nous devrions pouvoir prier dans nos propres langues nationales et l’acte de l’imam qui devrait susciter un espoir et un encouragement pour la préservation et la revitalisation de nos langues se heurte à la résistance acharnée de certains imams qui parlent de blasphème. Sans le moindre procès, l’imam est déjà condamné par sa hiérarchie !  Sa famille, sa mosquée et sa maison ont été la cible d’une attaque de jeunes extrémistes « Wahhabites », ce lundi 13 juillet.

Le terme blasphème*** vient du latin blasphemia, lui-même emprunté au grec βλασφημία, substantif correspondant au verbe βλασφημέω « parler mal de quelqu'un, injurier, calomnier ». Le théologien espagnol Francisco Suárez définit le blasphème comme « toute parole de malédiction, reproche ou irrespect prononcé contre Dieu ».

L’imam de Kankan ne calomnie ni n’injurie qui que ce soit. Il a, à travers un travail méticuleux, voulu mettre son expertise au service de sa langue maternelle comme il l’a si bien dit « J’ai commencé la prière en malinké depuis 1997. J’enseigne le N’ko et j’ai prié avec mes apprenants et amis. C’est donc certains d’entre eux qui m’ont proposé de prier le Laylat al-Qadr en N’ko… ».

Au lieu de détruire sa mosquée et le foutre en prison, nos dirigeants, linguistes, ethnologues, imams, sociologues et érudits de village devraient plutôt s’assurer que la traduction du Saint Coran répond et reste fidèle aux normes des règles d’usage de la langue arabe et du n’ko.  Perfectionner l’usage de nos langues nationales dans la religion, l’éducation et la science. Se poser la question suivante « faut-il obligatoirement pratiquer nos prières dans une langue qu’on n’est pas censé maitriser ? » On ne peut plus vivre sa foi comme au moyen âge, quand il fallait prier et adorer sans savoir pourquoi et comment, sans savoir lire et comprendre. Bravo à l’iman Ismael Nanfo Diaby de Kankan ! Comme le disait Honoré de Balzac, “Le génie a cela de beau qu’il ressemble à tout le monde et que personne ne lui ressemble.”

NB : L’Article 7 de la Constitution guinéenne de 2010 stipule que « Chacun est libre de croire, de penser et de professer sa foi religieuse, ses opinions politiques et philosophiques. »

Barry Tutankhamon.

*Source :https://nafc.ca/wp-content/uploads/2018/11/newNAFC-Indigenous-Languages-Discussion-Paper.FR_.pdf

***Blasphème ; https://fr.wikipedia.org/wiki/Blasph%C3%A8me.

Ali* (ʿAlī) est le cousin du prophète de l'islam Mahomet et fils d'Abû Tâlib, oncle de Mahomet qui l’a élevé et protégé comme son propre fils après la mort de son grand-père ‘Abd al-Mottalib https://fr.wikipedia.org/wiki/Ali_ibn_Abi_Talib.

Abû Bakr **As Siddîq (أبو بكر الصديق, v. 573 - 23 août 634) de son vrai nom Abdu Llâh (ou 'Atîq) Ibn Abî Quhâfah (عبد الله بن أبي قُحافة)1,2, surnommé « al-Siddîq » (الصديق, « le Véridique »)3, est un compagnon de Mahomet, devenu ensuite dirigeant religieux, politique et militaire. Il fut le successeur du prophète et premier calife de l'islam, de l'an 10 à 12 après l'Hégire c'est-à-dire de 632 à 634 en datation grégorienne. https://fr.wikipedia.org/wiki/Abou_Bakr_As-Siddiq

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