Nous sommes le samedi 8 décembre 2018. Les fêtes de fin d’année s’annoncent déjà. Conakry s’est parée de ses plus beaux atours. Les deux voies d’accès au Plaza Diamant brillent de mille feux avec des néons et des guirlandes multicolores.
Il est 19 heures. Dans la salle de réception du Plaza Diamant, les 150 invités, triés sur le volet, sont déjà en place. Chose rare à Conakry, pour une fois, l’horaire est respecté. C’est bon signe. Car l’enjeu est de taille.
Il s’agit d’un dîner de gala, certes, mais à l’américaine, pour collecter des fonds. Une pratique inconnue ici. Objectif : recueillir 1 million de dollars pour financer la création du premier centre de traitement chirurgical des crises cardiaques en Guinée. Une bonne nouvelle dans un pays où il n’existe aucun centre spécialisé pour traiter ce type d’affection.
Ce projet ambitieux est porté par Zohera Traoré, infirmière d’Etat, formée aux Etats-Unis. Svelte, souriante, teint mi-figue mi-raisin, 35 ans, mariée, un enfant, elle est réputée avoir une volonté d’acier trempé. Elle ne lâche jamais une question sans en avoir fait le tour complet. Zohera réussit, d’habitude, tout ce qu’elle entreprend.
Cette fois, il s’agit d’une première. Et les sceptiques s’en donnent à cœur joie. Les Cassandre disent que Zohera lance un défi qu’elle ne pourra pas tenir. Et ils ne désarment pas. Zohera saura-t-elle tenir son pari ?
Elle est épaulée par deux organisations d’envergure, la Guinéenne des mines (GDM), société spécialisée dans l’exploitation de la bauxite, dirigée par Mori Diané, par ailleurs co-fondateur et vice-président de la société Amex International, et la fondation Live From The Republic (LFTR), une organisation caritative dont le directeur exécutif est Ibrahim Diané.
Cette soirée de collecte de fonds a été organisée par ces deux institutions, avec le soutien du ministère de la Défense nationale et celui de la Santé et de l’Hygiène publique. Ainsi encadré, le projet de premier centre guinéen d’urgences cardiaques a toutes les chances de voir le jour.
Parmi les 150 invités, trois ministres de premier plan ont fait le déplacement pour participer au dîner de gala. Il y a là, Dr Mohamed Diané, ministre d’Etat chargé des Affaires présidentielles et ministre de la Défense nationale, qui est le principal parrain du projet.
Il y a naturellement le ministre de la Santé et de l’Hygiène publique, Dr Edouard Niankoye Lamah, qui se réjouit de voir ce projet combler un manque considérable dans le système sanitaire guinéen.
Ils sont accompagnés de Gabriel Curtis, ministre en charge des Investissements et du Partenariat public-privé. Sa présence souligne le fait que ce projet de centre d’urgences cardiaques, qui relève de l’initiative privée, est ardemment soutenu par la puissance publique, c’est-à-dire l’Etat. Toutes les conditions sont donc réunies pour le succès de l’entreprise.
Parmi les personnalités ayant répondu à l’invitation, on compte de nombreux anciens ministres. La présence de Mariama Aribot, ancienne ministre des Affaires sociales, de la Condition féminine et de l’Enfance, ne pouvait passer inaperçue. De même que celle d’Aline Barry, ancienne ministre également, qui se bat à l’heure actuelle pour conquérir la mairie de la commune de Daralabé, ou celle d'Ibrahima Soumah, économiste-géologue et écrivain, ancien ministre des Mines.
D’importantes personnalités de la société civile se sont également mobilisées. On note la présence de Mme Néné Mariama Barry, Directrice générale de la SGI, la Société guinéenne d’industrie, et vice-présidente de la Fondation Karamoko Alfa du Timbo. Elle est accompagnée notamment de Mamadou Oury Barry, plus connu sous ses initiales MOB, Directeur général du bureau d’études et de contrôle SBECG, chargé des projets au sein de la même Fondation.
Les organisateurs de la soirée n’ont pas lésiné sur les moyens. Ils n’ont rien laissé au hasard et ont mis les petits plats dans les grands. Coût total de la soirée : 15 000 dollars, soit environ 135 millions de FG (location de la salle, DJ, chanteuse et dîner).
La maîtresse de cérémonie est Hadja Mariama Baldé Kaba, attachée de cabinet du ministre de la Santé. Elle va organiser les débats avec une virtuosité propre aux grands professionnels de la communication.
C’est Zohera Traoré qui ouvre le bal, mieux, qui lance les débats. Passant du français à l’anglais avec une aisance stupéfiante (elle a vécu 14 ans aux Etats-Unis), elle rappelle qu’en Guinée, 1 adulte sur 3 souffre d’hypertension artérielle, principal facteur de risque de crises cardiaques et d’accidents vasculaires cérébraux (AVC).
Ces deux types d’affection (crises cardiaques et accidents vasculaires cérébraux) figurent parmi les 10 principales causes de mortalité en Guinée. Malheureusement, aucune structure sanitaire n’est capable de traiter chirurgicalement les crises cardiaques dans notre pays. Il n’existe que deux centres de dialyse (dont un centre associatif) pour toute la population guinéenne.
Le nombre disproportionné d’évacuations médicales internationales et de décès évitables dus aux AVC, aux crises cardiaques et aux complications du diabète résulte principalement du manque criard d'équipements médicaux essentiels et de prise en charge rapide, de l’insuffisance du nombre de prestataires de santé bien formés et du coût élevé des soins médicaux.
Zohera rappelle que le coût moyen d’un cas d’attaque cardiaque est estimé à 34 000 dollars, que les maladies cardiovasculaires, les maladies traumatologiques-orthopédiques et les maladies neurologiques-neurochirurgicales ont motivé plus de la moitié des 2 445 évacuations médicales internationales soutenues par le ministère guinéen de la Santé entre 2001 et 2015.
Elle souligne que le ministère de la Santé et la Caisse nationale de sécurité sanitaire (CNSS) ont dépensé 84 millions de dollars en évacuations médicales internationales entre 2001 et 2015.
C’est pourquoi, la Guinéenne des Mines et la fondation Live From The Republic, en accord avec le ministère de la Défense nationale et le ministère de la Santé et de l’Hygiène publique, ont organisé ce dîner de collecte de fonds pour créer le premier centre guinéen de traitement des urgences cardiaques.
Les fonds collectés seront destinés à la réhabilitation de deux bâtiments désaffectés au camp Alpha Yaya et mis à la disposition du projet par le ministère de la Défense nationale, à l’achat d’équipements et de matériels médicaux, ainsi qu’à la formation médicale et biomédicale du personnel.
Les équipements viendront principalement des Etats-Unis, de même que les médecins pour exercer dans le centre et former le personnel guinéen. Ce matériel permettra de faire des IRM, des scanners, de la dialyse et de traiter les cas de traumatologie.
Les dons peuvent être en espèces, en matériel de construction, en équipements et matériels médicaux ou en assistance technique pour la formation médicale et biomédicale, la maintenance des équipements médicaux, la mise en place et la gestion du centre chirurgical d’urgences cardiaques. La campagne de collecte continuera au-delà de cette soirée de gala.
Bien qu’étant sis dans la caserne militaire du camp Alpha Yaya, le centre sera ouvert non seulement aux militaires et à leurs familles mais aussi à toute la population civile.
« Nous avons d’excellents médecins, affirme Zohera Traoré, mais ils sont handicapés par un manque criard d’équipements. Ce dîner de collecte de fonds a pour objectif de mobiliser 1 million de dollars. La collecte se poursuivra jusqu’à ce que cet objectif soit atteint. Le seul fait que vous soyez là est pour nous un soutien inestimable», conclut-elle.
Zohera a de qui tenir. Elle est la fille de feu Diamori Traoré (paix à son âme !), ancien secrétaire général de l’ABN, l’Autorité du bassin du Niger, et ancien haut fonctionnaire à la Commission économique des Nations unies pour l’Afrique (CEA) à Addis Abeba en Ethiopie, et de ma sœur, Hadja Kadidiatou Barry, licenciée en linguistique-mathématiques.
Elle est mariée à Mohamed Diané, actuel chargé de mission au ministère de la Défense nationale. Mohamed est le fils de feu Sékou Diané dit Diané Net à sec (paix à son âme !), l’un des plus brillants hommes d’affaires guinéens, malheureusement disparu dans la tourmente de 1970-1971, et de ma promotionnaire à l’IPGAN, l’Institut polytechnique Gamal Abdel Nasser, Madina Ba, ancienne star de la RTG, la Radiodiffusion télévision guinéenne, et qui a contribué à former de nombreux journalistes des médias publics.
Mohamed a été pendant 18 ans GI’s dans l’armée américaine. Il a opéré sur tous les théâtres de guerre en Afghanistan et au Moyen Orient, après l’attaque du World Trade Center à New York, le 11 septembre 2001.
Je n’oublierai pas que Diané Net à sec a été le tuteur de mon ami d’enfance, feu Marouana Demba Bah (paix à son âme !), qui sera haut fonctionnaire à la BAD, la Banque africaine de développement, à Abidjan. En hommage à cet illustre disparu, l’un de mes garçons porte le prénom de Marouane.
En mai-juin 1985, j’ai été invité par le State Department à faire une découverte des Etats-Unis au nom de l’hebdomadaire Jeune Afrique et du newsmagazine Jeune Afrique Economie où j’étais chef d’enquête (j’en deviendrai plus tard le rédacteur en chef), dans le cadre du programme des visiteurs internationaux. J’ai demandé à rencontrer des hommes d’affaires noirs. C’est l’entrepreneur guinéen le plus prospère de l’époque, Mamadi Diané, fondateur et président de la société Amex International (100 millions de dollars de chiffres d’affaires à l’époque), qui a été choisi. J’ai passé une journée avec lui.
Il m’a présenté son frère Mori Diané, vice-président d’Amex International et actuel PDG de la Guinéenne des mines. Le soir, il m’a invité à visiter sa maison (500 000 dollars) dans un quartier résidentiel de Washington. Nous avons écouté, avec son épouse noire américaine Catherine, le tube de l’époque, We are the world, chanté par les plus grandes vedettes américaines. « Depuis que David Rockfeller a emménagé dans mon quartier, la valeur de ma maison a décuplé », m’a-t-il confié. Amex International réalise aujourd’hui un chiffre d’affaires de 500 millions de dollars en trend annuel.
De savoir que le projet de centre d’urgences cardiaques est soutenu par un homme de l’envergure de Mamadi Diané est une garantie certaine de sa réalisation.
Après l’intervention de Zohera, qui a tenu en haleine l’assistance, la maîtresse de cérémonie, Hadja Mariama Baldé Kaba, non sans avoir rappelé qu’elle a été formée par Madina Ba, l’ancienne vedette de la RTG, passe la parole à Karim Diané, qui nous raconte par le menu comment la fondation Live From The Republic a vu le jour. Cette organisation caritative a notamment supervisé une collecte d’équipements médicaux aux Etats-Unis qu’elle a transférés en Guinée et distribués aux structures hospitalières, entre autres, de Conakry.
Ensuite, c’est au tour du professeur Naby Baldé d’entrer en scène. Spontanément, le silence se fait dans la salle du dîner. On va entrer dans le vif du sujet. Coordinateur du Programme national intégré de prévention et de contrôle des maladies non transmissibles, cet homme de l’art est aussi professeur à la Faculté de médecine de l’Université Gamal Abdel Nasser. Pendant plus d’un quart d’heure, il fait un exposé magistral sur les maladies non transmissibles, à savoir les cardiopathies, le diabète et le cancer. On s’est cru, par moments, dans l’amphithéâtre de la Faculté de médecine.
Toutes ces maladies ont été regroupées sous le nom générique de « maladies non transmissibles » parce qu’elles ont le même déterminant et résultent des mêmes facteurs de risque : alimentation non appropriée, consommation excessive de sucre et de sel, insuffisance de fruits et légumes dans le menu quotidien, alcool, tabac, surpoids, manque d’exercice physique...
Les maladies non transmissibles progressent de manière inexorable en Guinée tandis que les maladies transmissibles (paludisme, tuberculose et VIH/Sida) baissent. Curieusement, les premières l’emportent de loin sur les secondes.
On estime que 33% des 15-64 ans souffrent d’hypertension en Guinée, soit 1 million de personnes. Mais, les trois quarts des patients ne sont pas diagnostiqués. Seulement 2% des financements sont consacrés aux maladies non transmissibles. Les crises cardiaques, les AVC et le diabète causent de graves dommages et un taux de mortalité élevé. La création du premier centre de traitement chirurgical des crises cardiaques arrive donc à point nommé.
Le dîner bat son plein lorsque l’artiste Kady Diop monte sur la scène. Grande, aux formes sculpturales, tissage marron argenté, elle porte une robe noire qui semble cousue sur son corps. Au son des premières notes de sa chanson, le public est subjugué. Elle a un timbre de voix que seules les chanteuses noires, comme Mahalia Jackson ou Ella Fritgerald, peuvent avoir. Kady est ensorcelante. A damner un saint. Sa voix chaude, envoûtante, transporte la salle dans un monde féérique. Un moment d’une intense émotion.
Zohera a bien organisé son plan de travail, la succession des divers intervenants. L’intermède musical était nécessaire avant l’intervention d’Oumi Bah Camara, veuve de mon neveu Alimou Camara, homme de lettres, ancien professeur à l’UPEC, l’Université de Paris-Est Créteil, décédé à Conakry le 2 novembre 2017 d’une crise cardiaque fulgurante.
Oumi va faire le récit poignant de ce qu’elle a vécu en direct tout au long de la crise cardiaque qui a emporté son mari à l’âge de 49 ans. Veuve à 37 ans, elle croit ne jamais pouvoir s’en remettre.
C’est bien la disparition tragique d’Alimou Camara, aujourd’hui encore unanimement regrettée par tous ceux qui l’ont connu, qui a inspiré à Zohera le projet de centre d’urgences cardiaques. Le récit d’Oumi a bouleversé l’assistance. Beaucoup ont eu les larmes aux yeux.
Le clou de la soirée a été incontestablement l’annonce par le représentant de la société chinoise Auxin Mining Service Guinée/Norinco du don d’un montant de 100 000 dollars. Un tonnerre d’applaudissements accueille cette formidable annonce. D’autres donations s’ensuivront car, comme l’a dit Zohera, la collecte est ouverte jusqu’à ce que l’objectif du million de dollars soit atteint.
Il n’est pas minuit lorsque la soirée s’achève. Sur une note d’espoir. Le soutien du ministre de la Défense nationale et de celui de la Santé, ainsi que l’appui d’un acteur économique comme Mori Diané de la Guinéenne des mines sont les signes que le projet de centre d’urgences cardiaques verra bien le jour.
Alpha Sidoux Barry
Président de Conseil & Communication International (C&CI)